Même si le prénom semblait original et parfait à nos enfants, nous nous sommes rendus compte plus tard que le choix nous avait été imposé sans le savoir par des effets de mode.
Lorsque vous attendez un enfant, il est fréquent que vous commenciez à voir des noms dans votre soupe. Il se peut que vous envisagiez des noms qui étaient populaires dans le passé mais qui sont devenus moins courants depuis, comme les prénoms de vos grands-parents, Evelyn et Arthur au Royaume-Uni, Alice et Léo au Québec, ou Rose et Gabriel en France.
Et peut-être que, comme beaucoup d’autres, vous maintenez le secret de vos conversations pour éviter le vol de vos idées.
Quand Alice ou Gabriel arrivent à la crèche, au CPE ou à l’école, leur nom semble soudain moins original. Il y en a trois dans chaque classe, et il y en a quelques autres sur la cour de récréation. Cependant, lorsque vous avez choisi le prénom, vous le remarquez rarement.
Le sociologue américain Stanley Lieberson affirme que, pour diverses raisons, les parents choisissent souvent les mêmes noms pour leurs enfants au même moment. Depuis la fin du XIXe siècle, selon l’auteur de A Matter of Taste : How Names, Fashions, and Culture Change, les décisions ont été influencées par le goût plutôt que par l’habitude. Cependant, les tendances culturelles et les évolutions socio-économiques sont liées aux préférences générationnelles. En d’autres termes, les premiers noms choisis présentent les mêmes inversions croissantes que celles observées dans les effets de mode.
Mécanismes des prénoms à forte popularité
En général, les prénoms qui nous plaisent ne sont pas souvent ceux de notre propre génération ou de celle de nos parents. Ils sont trop « usés » pour être attrayants car ils sont associés à trop de camarades de classe, de professeurs ou de souvenirs. Ils ne peuvent pas correspondre à un bébé qui est magnifiquement rose.
En revanche, les noms de la génération de nos grands-parents, voire de nos arrière-grands-parents, semblent plus désirables. Un siècle après le dernier pic, selon des recherches danoises, les noms de filles à deux syllabes se terminant par « a » (comme Alma ou Clara) sont devenus plus courants. Des tendances similaires peuvent être observées au Québec et en France.
Nous avons peu de souvenirs liés aux noms de cette génération, ce cycle de 100 ans est donc logique. Même lorsque les parents se donnent beaucoup de mal pour donner un nom distinctif à leur adorable bébé, leurs préférences reflètent souvent celles des autres parents de leur génération. Les noms sont soumis à des tendances générationnelles dans les préférences. Cela vaut aussi bien pour les prénoms que pour les coiffures, les goûts vestimentaires et musicaux.
Bien sûr, tous les prénoms à la mode ne sont pas forcément associés à un certain âge ; la culture populaire a également un impact. Liam n’a jamais été un nom populaire au Danemark ou au Québec jusqu’aux années 2000, lorsqu’il a commencé à dominer les listes de noms de garçons. Cela pourrait être dû à ses liens avec des célébrités comme le chanteur d’Oasis Liam Gallagher, l’acteur oscarisé Liam Neeson et le rappeur Liam O’Connor. Peut-être en partie à cause de la forte ressemblance de Liam avec William, un autre prénom très apprécié au Québec.
En 1991, 14 087 Kevins sont nés de mères françaises. Cet engouement inattendu est lié à deux films très appréciés qui sont sortis l’année précédente : « Maman, j’ai raté l’avion », avec le jeune protagoniste Kevin, et « Danse avec les loups », avec Kevin Costner.
D’autres courants culturels sont évidemment en jeu. Après la Seconde Guerre mondiale, des prénoms anglais comme John ou Tommy ont gagné en popularité au Danemark grâce à l’impact des libérateurs de l’époque. L’anglomanie explique surtout l’engouement pour les prénoms « internationaux » d’influence anglaise comme Emma ou Noah dans toute la francophonie. Le mouvement des droits civiques a laissé des traces aux États-Unis. Les Afro-Américains choisissent de plus en plus souvent l’activiste et star du basket-ball Kareem Abdul-Jabbar plutôt que des prénoms bibliques traditionnels comme Elijah ou Isaac.
Les parents d’origines diverses seront également susceptibles d’utiliser des formules culturellement flexibles, où la tradition culturelle passe après la préférence personnelle, à mesure que nos sociétés deviennent plus variées que jamais.
Tendances internationales
Les styles de prénoms varient d’un pays à l’autre et d’une langue à l’autre, comme pour toutes les modes. William, qui est le prénom le plus courant au Québec depuis 25 ans, ne figure même pas dans le top 100 des prénoms en France.
Cependant, il arrive que certaines tendances transcendent les frontières linguistiques et géographiques. Au Danemark, en Norvège, en Suède et au Royaume-Uni, Noah et Ella sont en tête du palmarès. On observe la même situation avec Arthur et notamment Emma dans l’ensemble du globe francophone. Au cours des 25 dernières années, ces prénoms ont gagné en popularité dans le monde occidental.
Une étude plus récente démontre qu’il y a un changement dans la façon dont les gens perçoivent le genre des noms. Il existe une nette tendance aux noms unisexes dans le monde anglophone. À l’inverse, un prénom masculin comme Charlie se classe au huitième rang des prénoms féminins au Québec (bien que l’inverse soit rarement vrai pour les garçons).
La prévalence des prénoms composés évolue également à bien des égards. Contrairement au Québec, où ils ont presque entièrement disparu, Ivy-Rose pour les filles et Tommy-Lee pour les garçons font un retour en force en Angleterre et au Pays de Galles, et ils commencent à émerger en France.
Une chose est sûre : le prénom à pentures peut ou non être le meilleur choix si vous voulez vraiment que votre futur enfant se distingue.